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alain de benoist - Page 27

  • Les nouvelles inquisitions...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d' Alain de Benoist, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré aux nouvelles formes de censure. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Les nouvelles inquisitions

    « Depuis que les journalistes policiers tendent à remplacer les intellectuels engagés, la chasse à l’hérétique, sur fond de consensus médiatique absolu, s’est substituée à la discussion critique et à l’argumentation polémique. La diffamation douce et diluée, la dénonciation vertueuse, la délation bien-pensante et mimétique, donnent son style à la chasse aux sorcières à la française. Le goût de la délation s’est propagé dans les rédactions : on y dresse des listes de suspects, on y inventorie les “ambigus” et les “équivoques” (les “pas clairs”), on s’y applique à surveiller de près tous les manquements au “correctivisme” idéologique […]. Le chasseur d’hérétiques n’enquête pas, il ne discute pas, il dénonce, il traque, il met hors d’état de nuire ceux qu’il désigne comme des criminels et des ennemis, voire des ennemis absolus. »

    Pierre-André Taguieff écrivait cela en septembre 1998, dans le Figaro. Les choses ont-elles changé depuis ? On n’en a pas tellement l’impression si l’on en juge par des mots ou des expressions qui reviennent sans cesse dans les médias comme des refrains : police de la pensée, cordon sanitaire, pensée hygiénique, diabolisation, stalinisme intellectuel, antifascisme anachronique, manichéisme, délationnisme, chasse aux sorcières, stigmatisation hystérique, manipulation du soupçon, dictature de la bien-pensance, exécution sommaire, marginalisation, dérapages, pensées dangereuses, amalgames, reductio ad hitlerum, décontextualisation, lecture militante, ligne rouge à ne pas franchir, anathèmes, chape de plomb, hypermoralisme, purification éthique, phobie lexicale, opinions sans valeur d’opinion, parias de la pensée, etc. Dans les années 1970, on parlait volontiers de « terrorisme intellectuel », dans les années 1980 de « police de la pensée », depuis les années 2000 de « pensée unique ». Mais c’est toujours du même phénomène qu’il s’agit : la proscription de fait des idées non conformes, la marginalisation de ceux qui se situent en dehors du cercle vertueux de la doxa dominante.

    Soyons clairs : il y a toujours eu des censures, des discours qui étaient plus facilement acceptés que les autres, et d’autres que l’on voulait voir disparaître. Aucun secteur d’opinion, aucune idéologie, aucune famille de pensée n’y a échappé au cours de l’Histoire, et bien souvent, ceux qui se plaignent le plus de la censure ne rêvent que de pouvoir en instaurer une à leur tour. Il n’en reste pas moins que les censures et les inquisitions ont pris depuis quelques décennies des formes nouvelles.

    Trois facteurs radicalement nouveaux sont à prendre en compte.

    Ordre moral et empire du Bien

    Le premier est que les censeurs veulent aujourd’hui avoir bonne conscience, ce qui n’était pas nécessairement le cas autrefois. Ceux qui s’emploient à marginaliser, à ostraciser, à réduire au silence ont le sentiment de se situer du côté du Bien. Le nouvel ordre moral se confond aujourd’hui avec ce que Philippe Muray appelait l’empire du Bien [1] évolution est indissociable de l’apparition d’une nouvelle forme de morale qui a fini par tout envahir.

    L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même, sans imposer de règles aux individus. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent bien se conduire, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». C’est que l’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Le bien relève de l’éthique des vertus, le juste d’une conception de la « justice » elle-même colorée d’une forte imprégnation morale. Fondée sur les droits subjectifs que les individus tiendraient de l’état de nature, l’idéologie des droits de l’homme, devenue la religion civile de notre temps, est avant tout elle aussi une doctrine morale. Les sociétés modernes sont à la fois ultrapermissives et hyper-morales.

    On connaît le vieux débat à propos de la loi et des mœurs : est-ce la loi qui fait évoluer les mœurs ou les mœurs qui font évoluer la loi ? Pour répondre à la question, il suffit de constater l’évolution du statut attribué à l’homosexualité dans l’espace public. S’il y a cinquante ans, l’« apologie de l’homosexualité » tombait sous le coup de la loi, aujourd’hui c’est l’« homophobie » qui peut faire l’objet d’une sanction pénale, à tel point que, dans les écoles, on organise désormais des campagnes visant à « sensibiliser les enfants à l’homophobie ». Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur l’homosexualité, le rapprochement de ces deux faits a quelque chose de sidérant. Voici un demi-siècle, l’homosexualité était de façon assez ridicule présentée comme « honteuse » ou « anormale », aujourd’hui elle est devenue si admirable qu’il est interdit de dire qu’on ne l’apprécie pas.

    La furie du Bien n’épargne évidemment pas l’Histoire. Qu’elles créent ou non de nouveaux délits pénaux, qu’elles soient répressives ou purement proclamatoires, les « lois mémorielles » donnent à entendre que la loi est apte à décider de la vérité historique, ce qui est une aberration. Elles nourrissent des « repentances » publiques qui, en incitant à ne se remémorer le passé que comme crime, fonctionnent comme autant d’avertissements rétroactifs et de mythes incapacitants. Dans l’empire du Bien, on ne cherche plus à réfuter les pensées qui gênent, mais à les délégitimer – non comme fausses, mais comme mauvaises.

    Idéologie des droits et politiquement correct

    Deuxième facteur clé : le surgissement du « politiquement correct ». Cette lame de fond, venue d’outre-Atlantique, n’a rien d’anecdotique – bien au contraire. C’est indirectement un surgeon de l’idéologie des droits, à commencer par le droit d’avoir des droits. Au départ, ce sont des revendications portant sur le vocabulaire ou les formulations : ceux qui s’estiment choqués, humiliés, rabaissés par l’usage de certains termes, régulièrement posés comme des stéréotypes, s’affirment fondés à exiger qu’on les supprime. Les mouvements néoféministes et les tenants de la « théorie du genre » ont été en pointe dans cette revendication, qui pourrait être légitime si elle n’était pas poussée jusqu’à l’absurde.

    La cause profonde du politiquement correct réside en fait dans ce qu’on a pu appeler la métaphysique de la subjectivité, qui est l’une des clés de voûte de la modernité. Descartes en est le grand ancêtre : « Je pense, donc je suis. » Je, je. En termes plus actuels : moi, moi. La vérité n’est plus extérieure au moi, elle se confond avec lui. La société doit respecter mon moi, elle doit bannir tout ce qui pourrait m’offenser, m’humilier, choquer ou froisser mon ego. Les autres ne doivent pas décider à ma place de ce que je suis, faute de faire de moi une victime. Apparemment, je suis un homme blanc à la barbe épaisse, mais si j’ai décidé que je suis une lesbienne noire en transition, c’est ainsi que l’on doit me considérer. Je suis né il y a soixante ans, mais si je m’attribue les caractéristiques d’un homme de 40 ans, c’est comme tel que l’état-civil doit m’enregistrer. Au fond, je suis le seul qui a le droit de parler de moi. Ainsi s’alimente le narcissisme du ressentiment.

    La censure de nos jours se justifie ainsi par le « droit des minorités à ne pas être offensées ». Ces minorités ne sont en rien des communautés ou des corps constitués au sens traditionnel du terme, mais des groupes désarticulés d’individus qui, au nom d’une origine supposée ou d’une orientation sexuelle du moment, cherchent à désarmer toute critique sur la seule base de leur allergie à la « stigmatisation ». Leur stratégie se résume en trois mots : ahurir, culpabiliser, s’imposer. Et pour ce faire, se poser en victimes. Dans le climat compassionnel entretenu dans l’empire du Bien, tout le monde veut être une victime : le temps des victimes a remplacé celui des héros. Le statut de victime autorise tout, dès lors que l’on sait instrumentaliser le politiquement correct et l’idéologie des droits « humains ». Racisme structurel, sexisme inconscient, homophobie, c’est le triplé gagnant. Ce n’est plus l’essence, mais la doléance qui précède l’existence. Le mur des lamentations étendu à la société tout entière au nom du droit à faire disparaître les « discriminations ».

    On peut d’ailleurs s’arrêter sur ce terme de « discrimination », en raison du détournement sémantique dont il fait constamment l’objet. À l’origine, en effet, le mot n’avait aucun caractère péjoratif : il désignait seulement le fait de distinguer ou de discerner. Dans le langage actuel, il en est arrivé à désigner une différenciation injuste et arbitraire, éventuellement porteuse d’« incitation à la haine », à tel point que la « lutte contre les discriminations » est devenue l’une des priorités de l’action publique.

    Le problème est que cette exigence, en s’étendant de proche en proche, finit par aboutir à des situations qui, à défaut d’être cocasses, sont proprement terrorisantes. Un lycée américain décide la suppression d’une grande fresque murale datant de 1936 et dénonçant l’esclavage, au double motif que son auteur était blanc (un Blanc ne peut pas être antiraciste, c’est dans ses gènes) et que sa vue était « humiliante » pour les étudiants afro-américains. Elle sera remplacée par une fresque célébrant « l’héroïsme des personnes racisées en Amérique ». En France, une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne fait « scandale » parce que certains acteurs portaient des masques noirs, preuve évidente de « racialisme ». En Espagne, un collectif demande que l’on réglemente d’urgence la « culture du viol » qui règne dans les basses-cours : les poules y sont victimes de la concupiscence des coqs. D’autres s’indignent qu’on veuille rendre hommage à une femme célèbre (il fallait lui rendre « femmage »), ou qu’un ministre mis en cause dans une affaire récente estime avoir été « blanchi », ce qui atteste du peu de cas qu’il fait des personnes de couleur ! On pourrait citer des centaines d’autres exemples.

    Notons au passage que la « racialisation » des rapports sociaux à laquelle on assiste actuellement n’a pas manqué d’aggraver les choses, sous l’influence des mouvances « indigénistes » et postcoloniales. Ce qui témoigne d’une certaine ironie : c’est depuis qu’on a officiellement déclaré que « les races n’existent pas » que l’on ne cesse d’en parler !

    Censure médiatique plutôt qu’étatique

    Le troisième fait nouveau, c’est que la censure n’est plus principalement le fait des pouvoirs publics, mais des grands médias. Autrefois, les demandes de censure émanaient principalement de l’État, la presse se flattant de jouer un rôle de contre-pouvoir. Tout cela a changé. Non seulement les médias ont quasiment abandonné toute velléité de résistance à l’idéologie dominante, mais ils en sont les principaux vecteurs.

    Journaux, télévisions, partis politiques : depuis trente ans, tous disent plus ou moins la même chose parce que tous raisonnent à l’intérieur du même cercle de pensée. La pensée unique est d’autant plus omniprésente dans les médias qu’elle s’exerce dans un micromilieu où tout le monde a les mêmes références (les valeurs économiques et les « droits de l’homme »), où tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, où les mêmes relations incestueuses unissent journalistes, hommes politiques et show-business. La preuve en est que, sur un certain nombre de problèmes clés, 80 % d’entre eux pensent exactement le contraire de ce que pensent 80 % des Français. Le résultat est que le système médiatique est de plus en plus discrédité. Et que la plupart des débats auxquels on assiste ne méritent plus ce nom. « Le champ de ce qui ne fait plus débat ne cesse de s’étendre », disait encore Philippe Muray. « Le problème, confirme Frédéric Taddeï sur France Inter en septembre 2018, c’est que vous n’avez plus de vrai débat à la télévision française et que ça n’a l’air de gêner aucun journaliste. » Parallèlement, selon l’heureuse formule de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, l’intellectuel engagé a cédé la place à l’intellectuel à gage : « Aux “trois C” qui définissaient sa mission hier – critiquer, contester, combattre – ont succédé les “trois A” qui résument sa démission aujourd’hui : accepter, approuver, applaudir [2]. »

    On en est au point où l’on en revient même à la chasse aux confrères. Des journalistes demandent qu’on fasse taire d’autres journalistes, des écrivains demandent qu’on censure d’autres écrivains. On a vu cela dans le cas de Richard Millet, et plus récemment d’Éric Zemmour. Tel est explicitement le programme de deux petits inquisiteurs parmi d’autres, Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis : « Refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains thèmes comme pertinents » (sic) [3] Dialoguer avec l’« ennemi », ce serait en effet lui reconnaître un statut d’existence. Ce serait s’exposer soi-même à une souillure, à une contamination. On ne dialogue pas avec le Diable. Il faut donc diaboliser. Le politiquement correct est l’héritier direct de l’Inquisition, qui entendait lutter contre l’hérésie en dépistant les pensées mauvaises. L’idéologie dominante est elle aussi une orthodoxie, qui regarde comme hérétiques toutes les pensées dissidentes. Dans 1984, de George Orwell, Syme explique très bien que le but de la novlangue est de « restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » C’est l’objection ultime des nouvelles Inquisitions.

    Alain de Benoist (Eléments, 15 juillet 2020)

     

    Notes :

    [1]Philippe Murray, l’Empire du Bien, les Belles Lettres, 2010.

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  • Sur la déchristianisation de la France...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la déchristianisation de la France. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Déchristianisation de la France aidant, le risque du catholicisme est de devenir une religion de classe ! »

    Qu’on la considère ou non comme la « fille aînée de l’Église », la France a vu son histoire étroitement liée au catholicisme. Certains s’inquiètent aujourd’hui de sa « déchristianisation ». Il est vrai qu’à l’époque du curé d’Ars, d’autres voyaient encore dans notre pays une « terre de mission ». Le fait est, en tout cas, qu’aujourd’hui, les églises se vident et que les vocations se raréfient à un rythme encore jamais vu. Comment l’expliquer ?

    Il y a quelques jours, vous citiez vous-même cette phrase de Bernanos : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » C’est déjà une partie de la réponse. La modernité est inhospitalière à la transcendance, fût-elle immanente. Elle a consacré la montée d’un individualisme, dont les racines sont à rechercher du côté du nominalisme médiéval et du cartésianisme, qui tend à décourager les affiliations et les projets collectifs. L’anthropologie libérale fait de l’homme un être isolé, légitimé à toujours poursuivre son meilleur intérêt, c’est-à-dire un être égoïste. Sous l’influence de l’idéologie dominante, notre époque favorise le relativisme, l’hédonisme et le matérialisme pratique. Les gens s’habituent à l’idée qu’il n’y a rien au-delà d’eux-mêmes, que rien n’est pire que la mort, que rien ne vaut qu’on sacrifie sa vie pour une foi, une idée ou une conviction. Les Églises en pâtissent, et elles ne sont pas les seules.

    Beaucoup de catholiques traditionalistes pensent que les choses ont commencé à se dégrader avec le concile Vatican II. Je pense qu’ils ont tort. Vatican II n’a pas été une cause mais une conséquence, parmi d’autres, d’une vaste transformation qui est à rechercher bien en amont. La cause la plus profonde de la « déchristianisation » est, à mon sens, la disparition du monde rural dans lequel, pendant des siècles, une religiosité populaire, souvent empreinte d’un paganisme résiduel, avait rythmé de façon massive la vie des hommes et l’alternance des saisons, constituant ainsi le socle de la vie et de la pratique chrétiennes. Cette mutation silencieuse a été rapide. Entamée avec la révolution industrielle, qui a provoqué le premier exode rural, elle s’est accélérée depuis la Seconde Guerre mondiale avec la généralisation du salariat (qui a supprimé le métier au profit de l’emploi). Devenus des « agriculteurs », puis des « producteurs agricoles », les paysans représentent, aujourd’hui, à peine plus de 3 % de la population active alors qu’ils étaient encore dix millions d’actifs en 1945. Les traditions populaires ont disparu du même coup, à commencer par les dévotions et les rites religieux. La majorité de la population vit désormais dans les villes, et les communes ne sont plus des paroisses.

    Monseigneur Lustiger faisait remarquer en son temps que si l’assiduité à la messe n’est plus, aujourd’hui, un marqueur social, elle est en revanche, désormais, le signe d’une adhésion pleine et entière. Les pèlerinages continuent, d’ailleurs, à faire recette et la Manif pour tous a montré que le cadavre bouge encore. Chant du cygne ou possible renaissance ?

    Un passage bien connu de la Bible (Ez 6, 8) évoque le « petit reste » (sheêrit) qui survit à toutes les difficultés. Plus les catholiques sont minoritaires, plus ils sont actifs, et comme ils cultivent beaucoup l’entre-soi, ils ont l’impression d’être encore nombreux. Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions. Le fait dominant reste ce que Marcel Gauchet a appelé la « sortie de la religion ». Cela ne veut nullement dire qu’il n’y a plus de croyants, ni même qu’il y en aura de moins en moins, mais que les valeurs dont l’Église était porteuse n’organisent plus de manière normative la société. Après avoir abandonné le césaro-papisme, l’Église a pris soin de distinguer le temporel et le spirituel, tout en continuant de subordonner le premier au second. Cette distinction s’est transformée en séparation et a abouti à ce qu’on appelle aujourd’hui la laïcité. La foi s’est ainsi trouvée privatisée et n’a plus, du même coup, que le statut d’une opinion parmi d’autres. Certains chrétiens se félicitent que leur religion ne se confonde plus avec le pouvoir. Je pense au contraire que la privatisation de la foi lui est fatale.

    Le christianisme a longtemps accompagné l’histoire de l’Europe, conjoncture dans laquelle il a pu jouer un rôle de marqueur identitaire. Il ne peut plus le faire aujourd’hui, d’autant que la grande majorité des croyants vivent en dehors de l’Europe. Objectivement, le centre de gravité de la chrétienté se situe désormais dans le tiers-monde. Cela ne pose pas de problèmes du point de vue doctrinal en raison de l’universalisme chrétien (le « peuple de Dieu » ne connaît pas de frontières), mais cela peut en poser sur d’autres plans.

    Pour autant, lorsqu’on analyse le « vote catholique » lors des élections européennes de 2019, on constate que celui-ci s’est massivement porté sur la liste du parti d’Emmanuel Macron, l’homme de la GPA. Les catholiques français ont-ils encore à apprendre en matière politique ?

    Ils ont certainement toujours à apprendre, mais ils ne sont pas seuls dans ce cas. En l’espèce, je pense plutôt qu’ils ont cédé à un irrésistible tropisme qui les pousse à se solidariser d’un monde bourgeois qui, quoi qu’il en ait, préférera toujours ses intérêts à ses convictions. Ils paient en quelque sorte le prix de la « gentrification » du catholicisme français, sujet auquel l’excellente revue catholique La Nef a consacré un substantiel dossier en février dernier, en se référant notamment aux travaux de Yann Raison du Cleuziou.

    Avec la fin du monde rural, le catholicisme français, qu’il soit traditionnel, libéral ou progressiste, a perdu, en se repliant sur les villes, le contact avec les couches populaires (d’autant que c’est de l’État-providence que celles-ci attendent désormais qu’on leur fasse la « charité »). En 1929, le pape Pie XI disait : « Le plus grand scandale du XIXe siècle, c’est que l’Église a perdu la classe ouvrière. » Le « catholicisme social », l’Action catholique, la JOC et la JEC, les « prêtres-ouvriers », tout cela est derrière nous, et même les patronages ont presque tous disparu. Là où la France rurale fournissait des bataillons de prêtres et de religieux, c’est des milieux de la bourgeoisie que proviennent l’essentiel de ce qui reste des vocations sacerdotales, et c’est aussi ce qui explique la sociologie très homogène de la Manif pour tous. L’endogamie y est la règle et c’est à Versailles que l’on enregistre le plus fort taux de pratique de toute la France. Le plus grand risque, de ce point de vue, serait pour le catholicisme de devenir une religion de classe.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 7 juin 2020)

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  • Confrontation Etats-Unis/Chine : la France ne doit pas tomber dans le suivisme...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la confrontation entre les États-Unis et la Chine du point de vue européen et français. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Les États-Unis sont en guerre contre la Chine. La France ne doit pas tomber dans le suivisme… »

    Autrefois, le centre de gravité géopolitique du monde connu était la Méditerranée, avant de basculer vers l’Atlantique, découverte des Amériques oblige. Aujourd’hui, ce rôle semble revenir au Pacifique, le fait dominant, à en croire la plupart des observateurs, étant la montée en puissance de la . Réalité ou fantasme ?

    La Chine n’est pas encore la première puissance économique mondiale, mais elle a de bonnes chances de le devenir dans les dix ans qui viennent. Depuis 2012, elle est, en revanche, la première puissance industrielle, devant l’Europe, les États-Unis et le Japon (mais elle retombe au quatrième rang si l’on considère la valeur ajoutée par habitant). Elle est également la principale puissance commerciale du monde et la principale importatrice de matières premières. Elle dispose d’un territoire immense, elle est le pays le plus peuplé de la planète, sa langue est la plus parlée dans le monde, et elle possède une diaspora très active dans le monde entier. Elle possède la plus grande armée du monde et ses moyens militaires se développent à une vitesse exponentielle. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle possède l’arme nucléaire, elle est depuis 2003 une puissance spatiale. Elle s’implante massivement en Afrique noire, elle achète des infrastructures de premier plan dans le monde entier et son grand projet de « nouvelles routes de la soie » va encore renforcer ses capacités d’influence et d’investissement. En 1980, le PIB chinois représentait 7 % de celui des États-Unis. Il a bondi, aujourd’hui, à près de 65 % ! Enfin, les Chinois déposent deux fois plus de brevets que les Américains. Cela fait beaucoup.

    En 1993, dans son livre sur le choc des civilisations, Huntington anticipait le concept de « modernisation sans occidentalisation ». C’est là le point essentiel. Modèle d’un type inédit, combinant le confucianisme, le nationalisme, le communisme et le capitalisme, le modèle chinois diffère radicalement du modèle occidental de « développement ». Les libéraux croient généralement que l’adoption du système du marché entraîne immanquablement l’avènement d’une démocratie libérale. Les Chinois démentent tous les jours cette prédiction. Toutes ces dernières années, ils n’ont cessé de renforcer le rôle du marché, mais sans jamais cesser de l’encadrer de façon rigoureuse. Résumer ce système à la formule « capitalisme + dictature » est une erreur. La Chine donne plutôt l’exemple surprenant d’un capitalisme qui fonctionne sans subordination du politique à l’économique. L’avenir dira ce qu’il faut en penser.

    Les Chinois sont des pragmatiques qui raisonnent sur le long terme. L’idéologie des droits de l’homme leur est totalement étrangère (les mots « droit » et « homme », au sens que nous leur donnons, n’ont même pas d’équivalent en chinois : « droits de l’homme » se dit « ren-quan », « homme-pouvoir », ce qui n’est pas spécialement limpide), l’individualisme également. Pour les Chinois, l’homme doit s’acquitter de ses devoirs envers la communauté plutôt que de revendiquer des droits en tant qu’individu. Durant l’épidémie de Covid-19, les Européens se sont confinés par peur ; les Chinois l’ont fait par discipline. Les Occidentaux ont des références « universelles », les Chinois ont des références chinoises. Grande différence.

    Dès la chute du mur de Berlin, des rapports de la CIA annonçaient que la Chine était appelée à devenir le principal adversaire stratégique des États-Unis. Ces dernières années, les rapports entre Pékin et Washington n’ont cessé de détériorer, et pas seulement sur le plan commercial. Une véritable guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle concevable ?

    Les Américains ont toujours voulu uniformiser le monde selon leurs propres canons identifiés à la marche naturelle du progrès humain. Depuis qu’ils ont atteint une position dominante, ils ont constamment fait en sorte d’empêcher l’émergence de toute puissance montante qui pourrait mettre en danger cette hégémonie. Depuis quelques années, les livres se multiplient aux États-Unis (Geoffrey Murray, David L. Shambaugh, etc.) qui montrent que la Chine est, aujourd’hui, la grande puissance montante, alors que les États-Unis sont sur la pente descendante. Dans un ouvrage dont on a beaucoup parlé (Destined for War), le politologue Graham Allison montre qu’au cours de l’Histoire, à chaque fois qu’une puissance dominante s’est sentie menacée par une nouvelle puissance montante, la guerre s’est profilée à l’horizon, non pour des raisons politiques, mais du simple fait de la logique propre aux rapports de puissance. C’est ce qu’Allison a appelé le « piège de Thucydide », en référence à la façon dont la peur inspirée à Sparte par l’ascension d’Athènes a abouti à la guerre du Péloponnèse. Il y a de bonnes chances qu’il en aille de même avec Washington et Pékin. À court terme, les Chinois feront tout pour éviter une confrontation armée et pour ne pas donner prise aux provocations dont les Américains sont familiers. À plus long terme, en revanche, un tel conflit est parfaitement possible. La grande question est, alors, de savoir si l’Europe basculera du côté américain ou si elle se déclarera solidaire des autres grandes puissances du continent eurasiatique. C’est, évidemment, la question décisive.

    Il ne faut pas s’y tromper, les États-Unis sont d’ores et déjà en guerre contre la Chine. La guerre commerciale qu’ils ont engagée se double d’un volet politique dont témoigne, par exemple, leur soutien aux séparatistes de Hong Kong (présentés sans rire comme des « militants pro-démocratie »). Dans les documents de l’administration américaine, la Chine est d’ailleurs désormais qualifiée de « rivale stratégique ». Cette agressivité manifeste moins l’arrogance que la peur. Mais les Chinois n’ont nulle intention de se laisser faire, pas plus qu’ils ne toléreront indéfiniment un ordre mondial régi par des règles dictées aux États-Unis. Comme l’a dit Xi Jinping, « la Chine ne cherche pas les ennuis, mais elle ne les craint pas ». Il ne faut jamais oublier que, pour les Chinois, il existe non pas quatre mais cinq points cardinaux : le nord, le sud, l’est, l’ouest et le milieu. La Chine est l’empire du Milieu.

    Dans ce combat de titans, précisément, l’Europe a-t-elle encore une stratégie ? Et la France dispose-t-elle encore de quelques cartes à jouer ?

    Il ne fait pas de doute que l’on va voir se multiplier, dans les mois qui viennent, les campagnes antichinoises orchestrées par les Américains afin de s’assurer du soutien de leurs alliés, à commencer par leur « province » européenne, le but étant de recréer à leur profit un nouveau « bloc occidental » opposé à Pékin comparable à celui qui existait face à Moscou durant la guerre froide. Il serait dramatique que la France et l’Europe tombent dans ce piège, comme elles l’ont déjà fait en se ralliant aux sanctions édictées contre la Russie. Nous n’avons pas vocation à être sinisés, mais ce n’est pas une raison pour continuer d’être américanisés, surtout à un moment où les États-Unis accumulent chez eux des problèmes qu’ils ne parviennent plus à régler. La France qui, à l’époque du général de Gaulle, a été la première à reconnaître la Chine populaire devrait se souvenir, au lieu de sombrer à nouveau dans un atlantisme contraire à tous ses intérêts, qu’à cette époque, en pleine guerre froide, elle recherchait avant tout un équilibre entre les puissances respectant l’indépendance des peuples. Maurice Druon disait alors que le français était la « langue des non-alignés » ! C’est à ce rôle qu’elle doit revenir.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 juin 2020)

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  • Les contes de fée du néoféminisme...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque quelques contrevérités diffusées par les néoféministes. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Inégalités salariales entre hommes et femmes, le conte de fées des néoféministes… »

    On ne cesse de nous le répéter en boucle : en France, les femmes seraient moins bien payées que les autres. En novembre dernier, Marlène Schiappa assurait qu’à compétences égales, elles sont, en moyenne, payées « de 9 à 27 % de moins » que leurs collègues masculins. Est-ce crédible ?

    Pas un instant, et c’est facile à démontrer. Mais parler d’« inégalités de salaires » témoigne d’une façon de voir qui est déjà biaisée. Si l’on compare les salaires d’un homme et d’une femme occupant la même fonction, de même niveau, dans la même entreprise, et au même endroit, on constate que la différence est insignifiante, sinon inexistante. Un chef d’entreprise qui, par « sexisme », voudrait compresser systématiquement les salaires féminins n’aurait, d’ailleurs, aucune possibilité de le faire car la loi l’interdit. C’est aussi le cas aux États-Unis depuis l’adoption, en 1963, de la loi sur l’égalité de rémunération (Equal Pay Act).

    Ce que l’on constate, en revanche, quand on s’en tient à une approche globale, ce sont des écarts de salaires, ce qui n’est pas du tout la même chose. On les calcule, en général, en prenant le total des sommes gagnées par les hommes au cours d’une année donnée et en le divisant par le nombre de travailleurs masculins. On fait ensuite la même chose pour les femmes. On obtient, ainsi, un salaire masculin moyen et un salaire féminin moyen. L’écart est, aujourd’hui, d’environ 20 %. Ce sont ces chiffres qu’utilisent les néoféministes pour accréditer la thèse des inégalités, ce qui est parfaitement absurde, car les individus ne sont pas interchangeables, même quand ils sont de même sexe, et les emplois ne le sont pas non plus. En d’autres termes, on compare des agrégats qui ne sont pas commensurables.

    Mais alors, comment s’expliquent ces écarts de salaires si le « sexisme patronal » n’en est pas la cause ?

    Ils s’expliquent parfaitement dès que l’on prend en compte un certain nombre de facteurs, à commencer par le nombre d’heures travaillées et rémunérées, qui est nettement supérieur chez les hommes (on parle, ici, des heures rémunérées et non des heures de travail non rémunérées, qui sont au contraire beaucoup plus nombreuses chez les femmes). Les raisons sont bien connues : les femmes ont fréquemment plus de tâches domestiques que les hommes à accomplir, ce qui leur laisse moins d’heures dans la journée pour un travail rémunéré. C’est aussi la raison pour laquelle, surtout chez les couples à faible revenu, elles occupent un travail à temps partiel beaucoup plus souvent que les hommes : un travail à temps partiel ne peut évidemment pas être payé au même niveau qu’un travail à plein temps ; mélanger les deux catégories fausse complètement les statistiques. Toujours pour la même raison, les femmes sont moins portées à accepter de faire des heures supplémentaires, qui sont généralement mieux payées. Les hommes font, au contraire, plus d’heures supplémentaires et acceptent plus souvent des modes de travail contraint ouvrant droit à des primes. La parentalité et les stratégies familiales sont particulièrement importantes. Les femmes qui ont des enfants ont besoin de plus de temps libre que les hommes, célibataires ou mariés, ou que les femmes sans enfant. Ce facteur pèse souvent sur leur carrière, car les promotions et les augmentations de salaires dépendent non seulement des compétences, des performances et de l’ancienneté, mais aussi de la disponibilité (c’est la raison pour laquelle, malheureusement, l’âge de la mère au premier enfant ne cesse de reculer).

    Il faut, enfin, tenir compte de la répartition des sexes selon les catégories professionnelles et les types d’emplois. Près de 95 % des personnes qui travaillent dans des secteurs comme la garde d’enfants, les soins à la personne, etc., sont des femmes. Or, il s’agit là d’un secteur qui est assez mal payé. On pourrait en dire autant de bien d’autres professions. Quand on tient compte de l’ensemble de ces facteurs quantifiables, qui expliquent près de 90 % des écarts de salaires, on comprend tout de suite que ceux-ci ne reflètent que très rarement des « inégalités ».

    Toujours dans le même ordre d’esprit, certains s’étonnent que les femmes soient sous-représentées dans certains secteurs professionnels. Pour y remettre bon ordre, faut-il instaurer la parité partout ?

    L’inégalité des salaires est tout autre chose que la parité. Ceux qui veulent « instaurer la parité partout » raisonnent à partir du postulat idéologique selon lequel les hommes et les femmes ont exactement les mêmes capacités dans tous les domaines et sont également attirés par n’importe quel métier. Dans ces conditions, la sous-représentation des femmes dans certains secteurs peut être posée comme la résultante « discriminatoire » d’un système de « domination patriarcale » : il suffit de présenter comme contraint ce qui bien souvent a tout simplement été choisi.

    Ce conte de fées se heurte déjà au constat que, si les femmes sont sous-représentées dans certains secteurs, elles sont au contraire surreprésentées dans certains autres (magistrature, enseignement, soins à la personne, etc.), ce qui ne paraît pas gêner outre mesure les partisans de la « parité partout ». D’innombrables études empiriques ont, par ailleurs, établi que, dès le début de la vie, les individus des deux sexes manifestent des appétences, des aspirations, des vocations différentes qui ne sont pas l’effet du milieu. Le cerveau humain lui-même est sexué. La supériorité féminine en matière de fluidité verbale est, elle aussi, bien établie. Statistiquement, les femmes préfèrent travailler avec des êtres humains, les hommes avec des objets. Les bébés filles suivent plus attentivement des yeux les mouvements des personnes alors que les bébés garçons s’intéressent surtout aux déplacements d’objets. Les unes joueront ensuite plutôt avec des poupées, les autres plutôt avec des trains électriques, au grand désespoir de ceux qui veulent abolir les « jouets genrés » pour mettre fin aux « stéréotypes ». Certes, il y a toujours des exceptions ou des cas limites : ceux qui en usent et en abusent oublient seulement que, sur de tels sujets, seules les moyennes sont significatives.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 9 juin 2020)

     

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  • Cinquante ans de reniement de l'hértage gaullien...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'héritage gaulliste. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « De Pompidou à Macron, les successeurs du Général ont, à des degrés divers, renié l’héritage gaulliste ! »

    On commémore, cette année, le 80e anniversaire de l’appel du 18 juin, le 130e anniversaire de la naissance du général de Gaulle et le 50e anniversaire de sa mort. Depuis déjà un certain temps, tous les hommes politiques se disent plus ou moins gaullistes. Est-ce parce que le Général a été notre dernier « grand homme » ?

    Je me méfie de la notion de « grand homme », qui n’est pas dépourvue de sens mais qui reste quand même un peu floue. Elle rejoint trop souvent le mythe droitier de « l’homme providentiel » auquel on a régulièrement recours quand on s’imagine qu’en politique, le succès peut tomber du ciel. Il ne faut pas oublier non plus que, si les grands hommes font les grandes époques, ce sont aussi les circonstances exceptionnelles qui font surgir les hommes d’exception. Cela dit, il est bien vrai que la comparaison entre de Gaulle et ceux qui lui ont succédé n’est pas à l’avantage de ces derniers. Pour ne prendre qu’un exemple, quand de Gaulle, en juillet 1959, demande à Michel Debré de créer un ministère des Affaires culturelles pour le confier à André Malraux, on n’est pas dans la même dimension historique que lorsque Macron désigne l’actuel ministre de la Culture, dont j’ai déjà oublié le nom. Inévitablement, quand on parle de De Gaulle, le terme de « grandeur » vient à l’esprit. Nous vivons dans une époque désespérément plate. Le gaullisme, c’était la verticalité. Lui a-t-on assez reproché d’avoir instauré une « monarchie républicaine » !

    De Pompidou à Macron, tous ses successeurs, à la possible exception de Mitterrand, ont à des degrés divers renié l’héritage du Général. Le seul point qui fasse consensus, c’est la force nucléaire dont le fondateur de la Ve République a su doter notre pays malgré l’opposition frénétique des États-Unis. Pour le reste… Dans le champ politique, le dernier vrai gaulliste a probablement été Philippe Séguin. Si, aujourd’hui, tout le monde se prétend gaulliste, c’est à la fois par démagogie (la popularité du Général reste très forte dans l’opinion) et parce qu’à leurs yeux, cela n’engage à rien. Ceux qui prennent cette posture arguent en général du « pragmatisme » du Général pour vider le gaullisme de tout contenu idéologique. « Le gaullisme est une pensée non doctrinale », disait Chirac. « C’est avant tout un pragmatisme », assénait Juppé. « Il se tient loin des idéologies et des systèmes », renchérissait Balladur. Procédé d’une rare malhonnêteté, qui permet de légitimer n’importe quelle trahison, alors que de Gaulle n’a jamais eu recours qu’à un pragmatisme du choix des moyens. Sur les principes, il est toujours resté ferme. Dans sa conférence de presse du 9 septembre 1968, il avait d’ailleurs lui-même défini le gaullisme comme un « système de pensée, de volonté et d’action », c’est-à-dire comme à la fois une pensée et une philosophie. De Gaulle n’avait pas de programme, mais un projet.

    De son vivant, le « grand Charles » a pourtant été loin de faire l’unanimité. Faut-il le voir comme l’homme de la Résistance et de la Libération, comme celui qui a « largué » l’Algérie française ou comme le père fondateur de la Ve République ? Que faut-il retenir de lui ?

    Pour la génération à laquelle j’appartiens, l’antigaullisme a surtout fleuri dans le cadre de l’affaire algérienne. Compte tenu de la manière affreuse dont celle-ci s’est terminée, je peux comprendre que certaines plaies n’aient jamais cicatrisé, même si je suis aujourd’hui convaincu qu’il n’était ni possible ni souhaitable de conserver l’Algérie dans la République française. De Gaulle s’en est rendu compte quand il a perçu les réalités démographiques. Les choses auraient-elles pu mieux se passer ? Je n’en suis pas certain, mais on peut en discuter. Le problème, malheureusement, c’est que l’antigaullisme est en général si passionnel qu’aucune discussion raisonnable n’est possible. La preuve en est dans la façon dont tant d’anciens partisans de l’Algérie française se sont mécaniquement opposés au Général dans tous les autres domaines où il méritait d’être soutenu.

    J’en vois pour ma part au moins trois. D’abord le domaine institutionnel. En instaurant un régime semi-présidentiel, la Constitution de la Ve République, mise au point par Michel Debré et René Capitant (ancien lecteur de Carl Schmitt), puis adoptée massivement par voie de référendum, a permis de sortir de l’instabilité chronique des régimes précédents, et surtout de retrouver une souveraineté populaire nettement distinguée de celle des partis. « En France, disait de Gaulle, la Cour suprême, c’est le peuple. » L’élection du chef de l’État au suffrage universel a permis, parallèlement, de rappeler que le peuple est le détenteur du pouvoir constituant. C’est le deuxième point essentiel. De Gaulle a systématiquement soumis ses grandes décisions à la sanction du référendum. Quand une coalition d’atlantistes et de notables lui a fait perdre celui de 1969, il a immédiatement remis sa démission. Un tel exemple n’a jamais été suivi, notamment en 2005, après le « non » à l’Europe de Maastricht. Il est significatif qu’aujourd’hui, les partisans d’un recours au référendum sur les questions qui engagent l’avenir se situent surtout dans l’opposition.

    Le troisième domaine est évidemment la recherche de l’indépendance nationale, qui a véritablement été l’axe majeur du gaullisme. En pleine guerre froide, à une époque où l’on tentait de faire croire que l’on n’avait le choix qu’entre le bloc soviétique et le monde « libre », de Gaulle a su comprendre, en visionnaire, la nécessité d’ouvrir dans la logique des blocs issue du système de Yalta une troisième voie (entre l’Est et l’Ouest, entre le capitalisme et le communisme) consistant à n’être le vassal de personne. Il a ouvert là une perspective dont on voit bien, aujourd’hui, qu’elle constitue l’enjeu principal de l’existence même de notre peuple.

    Est-il possible d’être un gaullien politique sans forcément se réclamer du gaullisme historique ?

    Dès que l’on en tient pour la primauté du politique, que l’on estime que la politique de la France « ne se joue pas à la corbeille », qu’on voit dans la société autre chose qu’un empilement d’intérêts privés, qu’on mesure l’ampleur des divergences d’intérêts entre le continent européen et la puissance maritime américaine, qu’on en tient pour le volontarisme contre le fatalisme, que l’on estime que le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier la constitutionnalité des lois et non leur conformité à l’idéologie des droits de l’homme, qu’on se refuse à laisser à d’autres le soin de désigner nos adversaires, que l’on croit que « la démocratie, c’est le gouvernement du peuple exerçant sa souveraineté sans entrave » (27 mai 1942), que l’on veut une France française dans une Europe européenne (« depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural »), on est nécessairement gaullien, même si l’on ne se dit pas gaulliste.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 31 mai 2020)

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  • La revue de presse d'un esprit libre... (48)

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    La revue de presse de Pierre Bérard

    Au sommaire :

    Le numéro 184 (juin-juillet) d’Éléments est en kiosque depuis un dizaine de jours. Ci-dessous sa couverture et son très riche sommaire :

     
    François Bousquet dans la peau de Virginie Despentes : « Je suis une bourgeoise blanche de gauche privilégiée ». L’auteur de Baise-moi s’était exprimée dans une lettre rendue publique sur les ondes de France Inter où elle disait son attachement à la lutte contre les discriminations et sa compassion pour ses victimes issues de l'immigration. Cette apostrophe était intitulée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème :
     
    Deux brèves interviewes d’Alain de Benoist. Dans la première il s’interroge sur l’avenir du catholicisme et se demande si la déchristianisation des la France ne risque pas de faire apparaitre le catholicisme comme une religion de classe. Dans la seconde il montre que ceux qui s’affirment « gaullistes » aujourd’hui ont trahi depuis longtemps l’héritage du général : 
     
     
     
    Christopher Gérard dans une brève critique salue la parution toute récente du petit livre de Jean-François Gautier, A propos des Dieux (éditions Nouvelle Librairie), une apologie intelligente et cultivée des spiritualités polythéistes :
     
     
    Excellent numéro  d'I-Média de Jean-Yves Le Gallou et Nicolas Faure, l'émission hebdomadaire de Télé-Libertés. Sont abordés essentiellement  les sujets ayant trait aux manifestations et émeutes raciales aux États Unis et en France. L’émission s’emploie à rétablir des vérités occultées par les « journalistes » de propagande :
     
     
    L’OJIM dans un article incisif analyse la comédie victimaire  à laquelle se livre la presse de grand chemin à propos de la mort d’un Afro-américain à Minneapolis et de l’affaire Traoré, remise sur le tapis à cette occasion. il montre que l’opération s’est révélée un succès pour les militants d’extrême gauche, décoloniaux et indigénistes dont la mouvance a gagné en ampleur en usant à l’égard des forces de l’ordre de la technique du renversement accusatoire. Hier ils criaient pas d’amalgame ! Aujourd’hui ils y recourent sans complexe. Assa Traorè, soeur d’Adama et animatrice du comité « La vérité pour Adama », le reconnait elle-même « ça nous dépasse et c’est ce qu’on veut » :
     
     
    « N’importons pas, en France, la question raciale américaine !» proclame, martial, l’ancien député Les Républicains Christian Vanneste ( sur Boulevard Voltaire du 5 juin). Sa cécité l’aveugle comme dirait l’autre car c’est fait depuis longtemps. Ce pompier pyromane occulte également un autre élément massif : les majorités de droite auxquelles il a appartenu ont sanctifié durant des décennies, contre le voeu des populations autochtones, l’importation de millions d’immigrés extra-européens dans l’hexagone créant ainsi la masse de manœuvre nécessaire pour que ce problème, contre lequel il voudrait nous prémunir, éclate à la face de ses promoteurs.
     
     
    L’implacable démonstration du journaliste Nicolas Faure sur le site Polémia : non, les Noirs américains tués par la police ne sont pas victime du « racisme systémique » qui régnerait aux Etats Unis contrairement à ce qu’affirme une propagande insistante :
     
     
    Reprenant les 10 arguments les plus souvent employés par les immigrationnistes pour justifier leur cause, le site « Je Réinforme » propose de dénoncer cet argumentaire, preuves à l’appui :
     
     
    Louis de Raguenel dénonce la maffia Traoré qui depuis la mort accidentelle d’Adama Traoré ne cesse d’accuser les gendarmes. Le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles met à mal cette version des faits et dénonce une véritable entreprise d'intoxication qui, avec le soutient d’une partie des médias mainstream pousse des milliers de gens à manifester. Dénonçant la thèse boiteuse du clan Traoré il y voit se manifester l’ambition de l’extrême-gauche indigéniste et décoloniale :
     
    Ci-joint le palmarès judiciaire (édifiant !) de la très nombreuse famille d’Adama Traoré. Un clan qui ne semblerait vivre que de trafics, de deals et d’extorsions :
     
    Grégory Roose dénonce les occultations de l’information concernant George Floyd. Une presse pourtant adepte de fact-checking, qui travaille uniquement dans le sens de l’émotionnel, et fournissant ainsi la matière de la haine contre l’homme blanc qui serait assuré de ses « privilèges ». Un certain anti-racisme ou prétendu tel a ouvert la voie à un racisme aussi décomplexé qu’il est autorisé. Et ceux qui refusent de céder à cette nouvelle grille de lecture objectivement « raciste » sont les premiers que l’on stigmatisera :
     
     
    Dans un article du Point traduit de l’Américain par Peggy Sastre en 2018 William Ray montre que le concept de « privilège blanc » qui fait maintenant son introduction en France souffre de biais fondamentaux. Peggy McIntosh son inventrice, issue de la grande bourgeoisie de la cote est et donc gosse de riches, confond manifestement dans son article fondateur de 1989 les réels privilèges financiers dont elle a pu jouir avec ceux, imaginaires, de sa « race ». En les étendant à l’ensemble d’une population qui se trouve ainsi essentialisée par les passe-droits dont elle bénéficierait. Ayant infusé à peu près partout le concept de « privilège blanc » a largement contribué à détourner les consciences, surtout chez les « racisés-dominés »  de la fracture économique qui va, elle, s’accélérant sans provoquer les troubles sociaux que l’on voit s’étaler aux États Unis. Il est significatif qu’en France même le ralliement de la gauche à ce concept biaisé qui vise à occulter des inégalités criantes sur le plan économique au profit d’inégalités raciales largement fantasmées. Cela va de pair avec son abandon des classes populaires autochtones et cela ratifie la trahison de la vocation qui l’avait fait naître :
     
     
    Julien Rochedy parle éloquemment du pseudo « privilège blanc ».
     
     
    Mathieu Bock-Côté parle du dispositif politico-médiatique profondément inhibiteur qui s’est mis en place au nom de l’antiracisme mais dont la véritable vocation consiste à instruire le procès de la nation tandis que ses défenseurs étaient au pire nazifiés, au mieux refoulés dans les marges et conduits au silence :
     
     
    Zoom de TVL avec Bruno Gollnisch. Celui-ci y fait la liste, toujours plus longue, des lois liberticides qui étranglent les capacités d’expression des Français depuis la loi Pleven jusqu’à la loi Avia. À ce propos il ne mâches pas ses mots sur les fake news d’État, prenant en exemple les États Unis :
     
    Marcel Gauchet dresse un bilan plutôt catastrophique de l’état de la France. Délabrement de l’État et désarticulation du système de décision politique, rendue visible pendant la crise du Covid-19. Il met principalement en cause l’universalisme des élites qui se vivent comme « citoyennes du monde »  :
     
     
    « Bâtir quand tout s’effondre ». L'engagement qui est au coeur de l’université d’été d’Academia Christiana, qui chaque année réunit pas moins 300 jeunes gens et jeunes filles. 
    Interview de Victor Aubert l’un des animateurs. On suivra par ailleurs l’une des conférences de l’édition de 2019 donnée par Arnaud de Robert  sur le thème  « effondrement du système, mythe incapacitant ou réalité dynamique » auquel il répond par ce qu’il appelle un stoïcisme joyeux :
     
    Conférence de Paul-François Paoli : « Quand la gauche agonise» (Cercle Aristote). Enregistrée le 1 février 2016. Un état des lieux qui pour la gauche s’est notablement aggravé depuis :
     
    Un texte de Xavier Eman : « Que l'on dénonce les violences policières me paraît non seulement légitime mais indispensable. Mais ce qui me fascine chez les "antifas" c'est qu'il faut que la victime soit "non-blanche" pour que ces violences aient vraiment un sens, de l'importance et de l'intérêt... Porter aussi loin le dédain des siens et la haine de soi dépasse le cadre politique pour se perdre dans les méandres psychanalytiques... Si l'extrême-droite a pu malheureusement être parfois le "bras armé" du capital, les "antifas" sont en train de devenir la milice auxiliaire de toutes les "minorités ethniques", poussant à une "guerre raciale" contre leur propre sang, une folie dont il subiront d'ailleurs - comme tous les exaltés coupeurs de têtes - les conséquences à leur tour… ».
    Xavier Eman armé d’un humour pince-sans-rire nous compte les aventures rocambolesque de Moussa, militant de la cause noire et pied-nickelé notoire :
     
    L’OJIM trace le portrait d’Abel Mestre journaliste au Monde où il fut spécialisé dans « l’extrême droite », un concept qu’il n’a jamais défini et dont il a tendance à élargir le spectre comme tout bon trotskiste qui se respecte. Un spécialiste de constitution de fiches. Inculte et prétentieux. Bref, un militant de « la République métissée » doublé d’un parfait inquisiteur :
     
     
    Michel Onfray règle ses comptes avec le journal Le Monde. Un véritable festival ! :
     
     
    Une vidéo de Greg Toussaint. Un noir qui ne mâche pas ses mots sur la bien-pensance :
     
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